Tract résistant dactylographié intitulé Chaine de la Kollaboration et transformant le Credo des Chrétiens en attaque contre les nazis (crédits : lepatrioteberrichoncnr.wordpress.com)
Pour éviter la censure allemande, de nombreux résistants sont parvenus à trouver une alternative pour lutter face au nazisme en utilisant les mots … et en jouant avec eux.
Pour illustrer ces actes de résistance originaux, nous allons vous présenter trois exemples de jeux littéraires (comme le poème L’an 1 de la kollaboration ou un poème en acrostiche de Julien Clément). Nous vous présenterons également un tract résistant qui était distribué dans le plus grand secret.
Copie du manuscrit original de « L’an 1 de la kollaboration » (auteur anonyme)
Le poème ci-dessus, se dénommant ici « L'an 1 de la Kollaboration », est intitulé différemment selon les sources. Il peut être appelé « Hymne à Hitler », « Collaboration » ou encore « Ode de la collaboration ». D’après son premier titre, nous pouvons penser qu’il date de 1940 ou de 1941, car la collaboration a débuté en octobre 1940, après l’entrevue de Montoire entre Pétain et Hitler.
C'est un texte sous forme de tract qui a été distribué lors de la Seconde guerre mondiale par des résistants français. Son auteur est un marseillais anonyme.
Il a évité la censure omniprésente du régime nazi puisque aux premiers abords, il vante Hitler et son régime mais aussi « insulte » l'Angleterre. Ce tract exprime, si on le lit sans esprit critique, l'attachement d'un « vrai Français » pour le dictateur allemand, en faisant son éloge. L'auteur utilise ainsi de nombreux termes valorisants destinés au chancelier nazi :
Aimons et admirons le
chancelier Hitler L’éternelle Angleterre est indigne de vivre Maudissons écrasons le peuple d’outremer Le Nazi sur la terre sera seul à survivre Soyons donc le soutien du Führer allemand Des boys navigateurs finira l’odyssée A eux seuls appartient un juste châtiment La palme du vainqueur attend la croix gammée |
Mais en coupant le texte en deux, et en le lisant non plus ligne par ligne mais colonne par colonne, on découvre un tout autre sens au texte, avec le blâme du régime nazi.
Aimons et admirons L’éternelle Angleterre Maudissons écrasons Le Nazi sur la terre Soyons donc le soutien Des boys navigateurs À eux seuls appartient La palme du vainqueur |
le chancelier Hitler est indigne de vivre le peuple d’outremer sera seul à survivre du Führer allemand finira l’odyssée un juste châtiment attend la croix gammée. |
Si on le lit par colonne de gauche à droite, on s’aperçoit donc que celui-ci a un deuxième sens. Les vers en alexandrins du poème initial deviennent des hexasyllabes faisant apparaître des rimes croisées, ce qui montre la sophistication de ce texte. De plus, ainsi lu, il fait l’éloge des Anglais (« L’éternelle Angleterre », « boys navigateurs », « peuple d’outremer »), qui sont en 1940-1941 les seuls occidentaux à combattre encore les Allemands et incarnent l’espoir d’une libération :
Aimons et
admirons A
L’éternelle Angleterre B
Soyons donc le soutien C
Le chancelier Hitler E
Du Führer allemand G |
En 1941, un officier français, Julien Clément, chef de musique au 99ème R.I.A., envoya dans une lettre au gouvernement de Vichy un poème à la gloire de Pétain. On pourrait y voir un acte de collaboration. Mais en fait, c’était plutôt un acte de grand courage.
Portrait de Julien Clément dans son costume de chef de musique du 99ème R.I.A.
En effet, toujours en 1941, Julien Clément a l’autorisation gouvernement de Vichy pour diffuser son poème faisant l'éloge du Maréchal. Les censeurs n’avaient pas vue la particularité cachée du texte, qui est en fait un poème acrostiche où l'on peut lire « Merde pour Hitler ».
Manuscrit du poème acrostiche de Julien Clément, validé par Vichy (cf. mention en bas à gauche : « Contrôle Visa »).
L'acrostiche est une forme de poème qui consiste à écrire un message caché que l’on peut reconstituer en lisant les premières lettres de chaque vers du poème. Ce poème en acrostiche, que nous reproduisons ci-dessous, lui a permis d'émettre une opinion politique critiquant les vainqueurs allemands sous couvert de patriotisme.
A NOTRE CHEF, LE MARECHAL PETAIN Ils le seront toujours, mais sans qu’on les divise Travail! Famille! doivent aussi y figurer
Liant au
fier passé notre droit d’espérer |
Heureusement pour Julien Clément, le Gouvernement de Vichy, à la lecture de ce document, n’a pas perçu l'insulte à Hitler et lui a délivré un visa de contrôle. L’auteur de ce poème, officier de l'armée française et chef de musique, né en 1908 et mort en 1949, aurait sinon risqué gros. Ce résistant littéraire et artistique est également l'auteur de « Maréchal, les voilà », une parodie de « Maréchal, nous voilà », chanson presque officielle du régime de Vichy. Julien Clément fut cependant enfermé à la prison de Montluc en 1943 à cause de ses créations critiques.
Tract de la croix de lorraine qui a été déchiré puis reconstitué (auteur anonyme)
Ce document est un tract qui a été publié pendant la seconde guerre mondiale en France occupée, et surtout diffusé en Normandie ou sur les côtes bretonnes. Ce tract donne l'ordre à la population locale de recueillir les soldats aviateurs britanniques blessés dont l’avion aurait été abattu par les Allemands. C’est clairement un tract de résistance. Datant de 1941, il est un des tous premiers tracts résistants. Fait main, on voit tout de même que sa construction a été travaillée. Il est très « graphique ».
Sur ce tract on peut voir la la croix de Lorraine au centre, symbole de la France libre du Général de Gaulle. Et on peut également voir un grand « V » tricolore qui structure le tract, et qui représente la première lettre du mot « victoire » (ou « victory » en Angleterre).
On peut voir sur les deux côtés du tract des messages qui demandent au peuple Français de ne pas écouter « Radio Paris », qui est contrôlé par les Allemands et diffuse des messages de propagande, mais plutôt la « Radio de Londres » (la BBC) pour capter les informations résistantes émises depuis l’Angleterre.
Ces tracts sont des œuvres artistiques par leur usage de symboles simples et parlants, et des œuvres de résistance : ils étaient distribués illégalement pendant l’occupation.
Manuscrit de juin 1941 écrit par un auteur anonyme
Cette œuvre anonyme critique la collaboration mise en place par Vichy, mais aussi la débâcle. Toutefois, comme les autres exemples donnés plus haut, ce texte échappe à la censure par un procédé ingénieux. Car pour comprendre le sens du message codé, il faut lire les lettres en fin de vers à voix haute.
La nation ABC (abaissée) la gloire FAC (effacée) Les places fortes OQP (occupées) Les provinces CD (cédées) Le peuple EBT (hébété) Les lois LUD (éludées) La justice HT (achetée) La liberté FMR (éphémère) Les denrées LV (élevé) La ruine HEV (achevée) La honte VQ (vécue) Mais l'espoir RST (est resté) La collaboration RAT (ratée) et les collaborateurs UE (hués) |
Vous pouvez vous amuser à décoder l’exemple suivant, qui est une variante du premier texte (ce qui montre que cette pratique était populaire dans les milieux résistants) :
Un « nouvel alphabet français » (Crédits : Musée du Général de Paris)
Conclusion
Les jeux littéraires et les tracts ont pu permettre aux résistants de faire passer leurs messages en évitant la censure allemande omniprésente, et de se protéger en les écrivant anonymement. En employant parfois l’humour, ils ont réussit à critiquer des régimes terribles.
Tract humoristique du « Testament d’Adolf Hitler »
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A LIRE SUR LE SUJET
« Les tracts et les affiches : faire connaître la résistance », article d’un site internet d’élèves créé pour le CNRD 2013 (Le patriote berrichon de Pierre Emile Martin).
La brochure en ligne du CNRD 2015-2016 sur « Les jeux littéraires anonymes », présentant d’autres jeux littéraires que ceux évoqués dans cet article.
Partie réalisée par Gwendal THORAVAL et Valentin VAQUIE
REMERCIEMENTS
Mairie de Thionville (crédits d'arrière plan : fresque murale du Musée de la Résistance de Thionville réalisée par M. Greg Gawra)
Musée de la Résistance de Toulouse et notre enseignant encadrant, M. Yann BOUVIER (conseils, informations, corrections)
Ce site internet a été créé par des élèves volontaires de 1 ère ES 3 du Lycée Clémence Royer de Fonsorbes (31) dans le cadre du CNRD 2016 ("Résister par l'art et la littérature pendant la Seconde Guerre mondiale en France"). Liste des élèves dans la F.A.Q.
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