WALTER SPIZTER : UN DESSINATEUR A BUCHENWALD

Walter Spitzer dans son atelier (années 1960-70)

Walter Spitzer adulte dans son atelier (années 1960-70)

 

  

La vie de Walter Spitzer est digne d’un roman. Naturalisé français après la Seconde Guerre mondiale, il a été déporté dans un camp de travail nazi alors qu’il n’avait pas 16 ans. Rare survivant de ces lieux de mort, il ne s’en est pas sorti par sa constitution robuste, mais par son coup de crayon qui, dans les années 1950-60 le rendront fameux (il a alors illustré les œuvres de Sartre, Malraux, etc.).

 

  

I/ La déportation de Walter Spitzer

    

          Né en 1927 à Cieszyn, en Pologne, Walter Spitzer est issu d'une famille juive bourgeoise et traditionaliste. A l'âge de quatre ans, il se prend de passion pour le dessin. C'est d’ailleurs cette passion et son talent qui le sauveront quand il sera plongé dans l'enfer des camps, comme des millions d'autres qui n’en reviendront pas.

  

Le 1er septembre 1939, l'armée allemande envahit la ville de Cieszyn : c'est le début de l'horreur, et l'annexion de la Pologne au IIIème Reich. Les juifs sont peu à peu expulsés et regroupés. Walter perd vite son père Samuel, mort de maladie en 1940 et dont le frère, Harry, la sœur Edith et le neveu Ernst ont été fusillés. Walter est bientôt séparé de sa mère, Gretta. Il apprendra bien plus tard qu'elle a été exécutée par les Allemands.

  

 

Walter Spitzer enfant adolescent Peintre à Buchenwald

Walter Spitzer enfant, peu avant le début de la 2nde Guerre mondiale

 

 

     Pour Walter, c’est direction Blechhammer, un camp de travail rattaché à Auschwitz, en 1943. Il y porte désormais le numéro de matricule n°178 489. Toutefois, au fur et à mesure de l'avance de l'armée soviétique qui n’est bientôt plus loin du camp, les Allemands s'inquiètent : Blechhammer est évacué. C'est alors l'infernale « marche de la mort » qui conduit Walter et les autres déportés rescapés à Buchenwald.

 

         Tout au long de ces terribles mois de déportation, entre Blechhammer et Buchenwald, Walter Spitzer dessine et propose ses dessins à ses camarades prisonniers. Il parvient ainsi à améliorer son quotidien. Il échange ses créations pour un morceau de pain, des pommes de terres ou une soupe de plus.

 

Mais surtout, il se promet de témoigner par son art des scènes horribles de cette guerre. La plupart de ses dessins sont aujourd’hui conservés et exposés au musée de Beit Lohamei Haghetaot, en Israël. Ce musée a été fondé par une poignée de résistants, de partisans et de survivants des Camps de concentration qui, comme Walter Spitzer, ont voulu témoigner du sort terrible qu’ils ont vécu.

 

Musée Beit Lohamei Haghetaot Israël Spitzer

Vue extérieure du musée Beit Lohamei Haghetaot (crédits : http://rescapesdelashoah.org/)

  

 

II/ Les « dessins résistants » de Walter Spitzer 

 

       En 1945, Walter Spizter a 18 ans. Les résistants du camp de Buchenwald en Allemagne, où il se trouve désormais, décident de le cacher et de le sauver contre une promesse : que le jeune dessinateur témoigne de l'enfer des camps, une fois la guerre terminée. Parce que dessiner était interdit dans les camps, et parce que les nazis voulaient cacher ce qu’y s’y passait, les dessins de Walter Spitzer sont des actes de résistance.

  

Dans son autobiographie parue en 2004 (voir en fin d’article), Walter Spitzer se souvient des paroles formulées par ses camarades l’ayant sauvé début 1945 d’une mort certaine : « Nous, le Comité international de résistance aux nazis, avons décidé de te soustraire [à ton sort]. Depuis que tu es là, nous t’observons. Tu dessines tout le temps, tu sais voir. C’est cela qui nous a décidés. Mais tu dois nous promettre solennellement que, si tu survis, tu raconteras, avec tes crayons, tout ce que tu as vu ici ».

  

        Dessiner dans les camps était un défi pour le jeune Walter. Il fallait trouver un support et de quoi dessiner (des crayons, du charbon …). Voici comment il raconte la création de son premier dessin, lorsqu’il était encore à Blechhammer : « Je me suis procuré un sac de ciment. Il avait quatre couches de papier et celles de l’intérieure sont splendides, couleurs papier kraft. Ensuite, j'ai chauffé du charbon de bois dans une gamelle et j'ai dessiné avec un bout de bois calciné ». Parfois il utilisait le dos des papiers administratifs dérobés par certains gardes. Ses camarades déportés lui donnaient ensuite de quoi dessiner dessus.   

  

La plupart des dessins de Walter Spitzer ont été détruits durant la seconde guerre mondiale. Après-guerre, à Paris où il s’est installé, pour tenir sa promesse, il a alors refait ses dessins de mémoire.

  

Nous allons maintenant vous présenter trois des œuvres qu’il a créées à Buchenwald, et que nous avons trouvées sur le site http://la-loupe.over-blog.net/

 

  

Deux déportés Dessin de Walter Spitzer à Buchenwald

Deux déportés dessinés par Walter Spitzer à Buchenwald

 

       

         Ce dessin représente deux déportés. Il inspire la tristesse (par la larme du personnage de gauche). L'horreur s’exprime sur leurs visages maigres et terrifiés. Leurs silhouettes squelettiques dévoilent les conditions de vie atroces dans les camps et la maltraitance qu’ils y subissaient (les carences alimentaires, l’affaiblissement du aux travaux, et la mort bien souvent). 

 

 

Une charrette de Buchenwald dessinée par Walter Spitzer

Une charrette de Buchenwald remplie de déportés presque morts

 

 

         Le dessin ci-dessus illustre une charrette de Buchenwald remplie de déportés presque morts. Il témoigne aussi de la faible espérance de vie dans les camps. Ici, ceux poussent la charrette, bien qu’en meilleure santé que les autres, paraissent presque aussi faibles que les autres. Dans les camps, la frontière entre la mort et la vie est donc faible.

 

Jamais dans ses dessins Walter Spizter ne veut montrer la mort. Il représente toujours des scènes de vie, des gens qui mangent ou bien qui dorment. Ou des gens très affaiblis. Il ne pouvait pas peindre la mort par pudeur. Il dit lui-même dans son autobiographie qu’il n'en avait pas la force : « C'est trop dur ». En revanche, il assiste à de nombreuses pendaisons, et à de nombreux décès causés par la fatigue ou la faim. 

 

 

Discussion dans la cour à Buchenwald par Walter Spitzer

Discussion dans la cour

 

 

         Ce dessin est émouvant, car il montre la solidarité entre les prisonniers. Il montre que la vie continuait malgré tout. Il était possible de rompre la solitude par moments, de discuter. Encore une fois, les déportés sont squelettiques. L’un d’entre eux, à droite, allongé, semble mort. Mais il ne l’est sûrement pas encore, seulement très affaibli, comme celui qui parle le doigt pointé vers le ciel. On peut se demander ce qu’ils se racontent. S’ils parlent de leurs vies d’avant, ou de leurs espoirs de survie. Les Allemands sont absents du dessin, comme des autres. Ils sont évoqués par les tours de garde. Cela montre que pour Walter Spitzer les prisonniers, même presque morts, sont plus humains que les gardes, dont il ne veut pas garder le souvenir.

  

 

         Conclusion

 

 

Walter Spitzer dans son atelier parisien en 2015

Walter Spitzer dans son atelier parisien en 2015, à 87 ans

 

 

Walter Spizter a résisté par son art. Pourtant dans son autobiographie il nous dit qu'à l'époque, il ne prenait pas conscience de l'importance historique de ses dessins : « Je n'avais aucune prétention historique, ni là, ni plus tard, ni jamais […]. Je n'ai jamais pensé que les dessins que je faisais dans les camps était un acte de résistance. Je dessinais tout simplement ». 

 

Walter Spizter a témoigné de son vécu par ses dessins, mais aussi dans un livre intitulé Sauvé par le dessin, publié en 2004. L’une des phrases qu’y s’y trouve résume bien ce que cet artiste a réalisé pendant sa déportation : « A tous ces enfants assassinés qui ne peuvent plus parler, je leur ai prêté mes crayons et mes pinceaux ».    

 

L’épreuve des camps a douloureusement marquée l'esprit des survivants, comme Walter Spizter.  Aujourd'hui, son acte de résistance est devenu son métier. S’il ne peint plus les scènes traumatisantes nées de sa déportation, elles restent gravées dans sa mémoire. Et celles qu’il a pu recréer après guerre et que nous avons pu voir sont des précieux témoignages. Grâce au courage de cet artiste, et malgré la volonté des nazis de garder leurs horreurs secrètes, nous avons pu avoir un aperçu du quotidien terrible dans les camps allemands. 

 

Photographie de la sculpture en mémoire de la Rafle du Vel d’Hiv, réalisée en 1994 par Walter Spitzer.

Photographie de la sculpture en mémoire de la Rafle du Vel d’Hiv, réalisée en 1994 par Walter Spitzer.

 

 

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A LIRE ET VOIR SUR LE SUJET

 

Walter Spitzer, Sauvé par le dessin. Buchenwald, Éditions Favre. Lausanne. Août 2004. 208 pages.

 

« Walter Spitzer, sauvé des camps grâce au dessin », article en ligne sur le site de France info, janvier 2015 (par Elise Delève). 

 

« Parce que j’étais peintre. L’art rescapé des camps nazis », un film de Christophe Cognet (Documentaire, 1h44, 2013, La Huit Production avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah).

 

 

 

 Partie réalisée par Louise WARME et Emma PEYRUSSIE

 

 


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